La symbolique de l’eau
La symbolique de l’eau.
Nous entamons un voyage à travers les coutumes et les âges, pour faire miroiter à la surface des cultures, les reflets et les teintes de l’eau.
Les connotations symboliques de l’eau dans les différentes cultures peuvent se laisser réduire à trois thèmes dominants : source de vie, moyen de purification et lieu ou noyau de régénérescence et de renouveau.
{Et, de l’eau, nous avons crée toute forme de Vie} (XXI, 30). Il est nécessaire que l’on commence par planter cette vérité, tel un mât afin que vogue le navire de la digression symbolique, sans craintes aucunes de naufrage ni d’égarement ; non seulement par loyauté envers le Seigneur, mais aussi par honnêteté vis-à-vis de la création. Nous lui devons au moins cette certitude.
Les eaux, masse indifférenciée, représentent l’infinité des possibles, l’illusoire et virtuelle infinie existence d’une multitude de mondes possibles, nous installant d’emblée dans une logique « des mondes possibles ». Elles contiennent tout le virtuel, donc l’informel, la graine des graines et le germe des germes ; toutes les prouesses de développement et les possibilités d’évolution, mais aussi toutes les menaces de récession et les ombres de la résorption.
En Asie, les différentes cultures qui cohabitent s’accordent pour reconnaître à l’eau, la forme substantielle de toute manifestation vitale, l’origine de la vie, l’élément de la régénération corporelle et spirituelle. Elle est le symbole de la fertilité, de la fécondité, celui de la pureté et de la sagesse. L’eau est fluide, mais elle est homogène, elle dissout, mais elle compactifie aussi, elle est unicité dans une imperceptible dualité. L’eau tombe de haut, elle est donc supérieure, mais elle se dirige toujours vers le bas vers les abîmes et les profondeurs. Or c’est une quiétude horizontale qui cristallise sa matérialité et son ultime devenir. Elle est ainsi considérée par la presque totalité des croyances religieuses qui existent en Asie comme la juste mesure, l’équilibre souterrain qui se dessine derrière toute chose.
La pureté, et la purification qui en est la résultante logique, sont unanimement affirmées dans les diverses croyances asiatiques. Du bouddhisme au taoïsme, de l’islam au confucianisme, l’eau est instrument rituel de purification (ablution, eau consacrée chez les anciens maîtres Fou-chouei taoïstes). Chez les Tibétains, l’eau rituelle des initiations est le symbole des vœux, des engagements moraux et spirituels contractés par le disciple postulant.
Citons, pour sa simple beauté, cette prière Védique à l’eau, purificatrice et vivifiante à tous les niveaux (physique et mental).
Vous les eaux qui réconfortez,
Apportez-nous la force,
La grandeur, la joie, la vision !
(…) souveraine des merveilles,
régentes des peuples, les eaux !
(…) vous les eaux, donnez sa plénitude
au remède, afin qu’il soit une cuirasse pour mon corps,
et qu’ainsi je vois longtemps le soleil.
(Trad. Jean Varenne, VEDV, 137)
Dans les traditions juives et chrétiennes, on retrouve cette symbolique de l’eau qui part de l’origine pour arriver à la fin. Une eau bienfaitrice qui descend du ciel, douce pure, vivifiante et comparée à la sagesse, et une eau salée, amère, dévastatrice (le déluge) qui représente la colère divine et le châtiment que Dieu (Le père), réserve à ceux qui refusent de lui reconnaître l’origine et la paternité de cette source de vie. Dans La Bible, les puits dans le désert, les sources et les oasis, qui en sont la résultante, sont autant de sujet d’émerveillements. La magnificence de l’eau est proclamée haut et fort autant par l’Ancien que par le Nouveau Testament. La Palestine est une terre de désert, l’eau est l’élément clé de la clémence et du courroux divins. La traversée du désert n’est qu’un voile pour ceux qui s’arrêtent aux significations apparentes et explicites des mots et des choses. Cette traversée à laquelle on condamnera une communauté toute entière est une traversée qui reproduit le désert intérieur auquel s’est laissé réduire ce peuple, en se refusant à l’eau de la sagesse divine. L’eau est une offrande, elle apparaît donc comme un signe de bénédiction. Ainsi, Jérémie blâmant l’attitude du peuple dira qu’« Ils feront de leur pays un désert» (18,16).
Le men (M) hébreux symbolise l’eau sensible, elle est l’origine, la mère et la matrice, elle manifeste la transcendance.
Avant, tout symbole de vie dans l’Ancien Testament, l’eau, dans le Nouveau Testament symbolise surtout l’esprit. Si l’eau est donnée par Yahvé à la terre, il est une autre eau, celle de la sagesse qui est plus précieuse et mystérieuse et qui préside à la création et à la formation des eaux. Le cœur du sage est souvent comparé à un puit, où réside la sagesse dont il faut s’abreuver. L’eau devient donc le symbole de la vie spirituelle et celui de l’esprit aussi.
Jésus-Christ ne se révèle-t-il pas comme le maître de l’eau vive avec la Samaritaine (Jean 4,10). Il est la source : «si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive » (id, 37-38). L’eau jaillit du rocher pour Moïse, mais c’est du sein du Christ qu’elle jaillira cette fois-ci. (Mohammed que la bénédiction divine soit sur lui, la fît jaillir de ses doigts). Le Père étant la source Le fis devint le fleuve et « nous buvons l’esprit » tel que le précise saint Athanase. Nous sommes donc, déjà projetés dans l’éternité, puisque celui qui boit de cette eau esprit participe déjà de la vie éternelle. Pour cette même religion chrétienne l’Esprit divin choisit l’eau pour sa simplicité, sa fécondité et sa transparence. C’est l’élément de la nature qui a gagné son adhésion première le lieu de son épiphanie absolue. Elle possède en elle même la vertu, la capacité de purification de toute souillure de toute infraction. Elle est donc le moyen d’ablution rituel lors du baptême, cette naissance de l’homme nouveau et la mort d’un ancien état d’humanité. L’eau dans cette symbolique est renouveau, naissance et transcendance. Les lieux de culte sont explicitement concentrés autour de sources. Tout lieu de pèlerinage à sa source, son élément fraîcheur, sa cure de pureté (corporelle et spirituelle). C’est pour cela qu’il faut rester vigilant face aux glissements symboliques. Les éléments païens sont là, ils résistent. Le magique attend toujours sa revanche sur le religieux.
Dans la tradition arabo-musulmane, la symbolique de l’eau ne s’écarte pas des lieux que nous venons de visiter, au contraire il y a une confirmation et un recentrage de ces différents points d’ancrage d’une symbolique qui n’a cessé de progresser vers la plénitude, et d’aspirer à une proximité ardemment recherchée à travers les cultures et les âges vis-à-vis du divin. L’eau, dans la symbolique musulmane, occupe une place de prédilection pour signifier le début, la pureté, le siège de la puissance divine absolue {et son trône était sur l’eau} (XXI, 7). Le paradis, tel que disent les gnostiques, n’est viable que parce qu’il est une épiphanie divine. L’eau Salsabile qui est le nom d’une source qui coule au Paradis, est une eau qui étanchera la soif des croyants pour l’éternité. Etancher sa soif à jamais, ne plus jamais sentir cette sécheresse au gosier et dans les tréfonds de son être de manière absolue. C’est la promesse faite aux serviteurs fidèles. L’eau est aussi materiae prima. Al Jili, grand mystique, symbolise l’univers par la glace dont l’eau est la substance. C’est une différence de perception qui sépare notre vision du monde de celle des gnostiques. Eux, ont eu accès à cette source de vie et sont, pour ainsi dire, morts à leur humanité, notre humanité, en accédant par leur breuvage à l’éternité. « Les gens sont endormis, disait le prophète, bénédiction et saluts sur lui, et une fois mort, ils se réveillent ». Jalalu-ddine Arrûmi symbolise l’univers par un océan dont l’eau est l’essence divine. Boire une coupe offerte par « Laïla» est le leitmotiv de tous ceux, d’entre les musulmans, qui ont été épris de la beauté originelle de la création qui n’est qu’une infime épiphanie du Maître de la création. L’amour de Dieu est le symbole extrême dans cette quête de fraîcheur de transparence lumineuse et d’extrême beauté, que parviennent à mettre en symbole les soufis à travers la tradition de leur imam le Prophète Muhammad, que la paix et les prières divines l’accompagnent.
La pureté est la recherche absolue que s’est fixée la religion musulmane, outre le rituel des ablutions qui ne peut être accompli sans eau, la pureté du cœur s’inscrit dans une foisonnante tradition littéraire qui prend pied et racine dans Le Coran et La Tradition du Prophète Muhammad, salut et paix soient sur lui. La source de Zam-Zam qui jaillit pour le fils d’Ibrahim, de sa première femme Hajar (qui veut dire émigrer), Ismaïl, qui en jouant de ses menottes, saintes petites mains, fait transformer les sables du désert en une eau pure et qui d’après les traditions musulmanes est intarissable, est la juste récompense divine à un Ami de Dieu (Al Khalil) pour le sacrifice que représente sa séparation d’avec un fils qu’il aimait. Un tel présent nous pousse à réfléchir quant à l’Amour que voue Dieu à ses créatures. IL dépasse celui des parents pour leurs enfants. L’eau est donc symbole d’amour. Elle est le lieu d’immersion dont on ne ressort jamais tel qu’on y a pénétré.
Puisse donc le Verbe se transformer en Eau, l’Eau en Amour. Ô combien en avons-nous besoin par les temps de haine et d’aveuglement frénétiques qui courent. Que Narcisse de la haine soit noyé à jamais dans les eaux du lac Amour.
Taher Ouazzani touhami