Les dieux Soleil
Les dieux Soleil
Titre curieux à plus d’un égard ! Mais ce titre ne recèle que le respect,
voire le mystère qu’a suscité et que continue de provoquer cet astre de lumière et de feu.
Les tempêtes solaires -grands souffles de gaz et de particules énergétiques- causent quelques fois des dégâts importants sur notre planète : en 1989 le Québec fut plongé dans le noir pendant neuf heures, suite à une panne causée par la colère du soleil. Mais d’un autre côté la beauté majestueuse des aurores boréales, tantôt rouges et tantôt vertes, interpellent le sens de l’esthétique chez l’homme du XXIème siècle. Celui-ci ne sait pas encore ce que lui cache cette étoile magnifique qui regorge non seulement d’énergie, mais aussi de mystère.
Il est donc tout à fait compréhensible que l’homme d’antan l’ait adorée, divinisée et ait instauré de plein droit son culte et la célébration de ses bienfaits. Le mythe,
la superstition, le magique et le sacré ont de tout temps eu des conflits frontaliers dans le référentiel humain. Nous allons donc visiter l’imaginaire de l’Homme pour faire le point, à travers ses différentes cultures et à des moments de l’histoire parfois éloignés dans le temps et dans l’espace, sur la place qu’y a occupé cette boule de feu.
Une véritable visite archéologique.
La puissance symbolique du soleil est telle qu’elle constitue un immense réservoir où a puisé et continuent de puiser, autant la poésie et les représentations sociales et artistiques que certaines « religions ». Malgré les successifs assauts que lui a assénés l’époque moderne depuis l’ère copernicienne, avec son artillerie technologique et sa vision « scientifique » réductionniste, notre étoile-reine garde presque intacts son réservoir et sa charge symbolique.
Le soleil dans la symbolique de l’homme à travers les âges, oscille entre la pure et simple divinité (Ra, chez les pharaons), et la manifestation de celle-ci (une épiphanie). Il a été considéré comme le fils de Dieu dans certaines civilisations et frère de l’arc-en-ciel, ce pont qui permit à Bouddha de redescendre sur Terre. L’iconographie antique permet selon R. Guenon de symboliser la lumière et la chaleur ou la lumière et la pluie. Cette ambivalence prévaut dans plusieurs cultures, des Aztèques aux Mayas, des bouddhistes aux shintoïstes. Ce sont les aspects Yin et Yang d’une source de vie et de chaleur qui souvent peut se révéler destructrice et mortifère. Cette symbolique dénote le bien et le mal dans leur interaction, comme les deux faces d’une seule et même médaille. Le soleil de la connaissance qui réside dans le cœur est un principe actif qui illumine quand il est rayonnant, mais qui peut tout autant assombrir, voire aveugler ou voiler la vue quand il est en état de passivité (éteint).
Le soleil rend les choses manifestes. Il est, selon certaines croyances, l’intelligence cosmique. Chez les maîtres soufis, dans leur langage allusif, il désigne l’âme universelle, la connaissance suprême ou la gnose dans son état pur et immortalisant : « Mourez avant de mourir » disait le prophète, bénédictions et saluts soient sur lui. Consumez-vous dans le soleil ardent de la contemplation du bien-aimé, et soyez soustrait à la vision du soleil des mondes sensibles et apparents, telle était l’invitation du maître des amoureux. Par ailleurs, un maître soufi ,feu Sid Hamza Qadiri Boudchich, disait: « le monde est comme une ombre éphémère. Ainsi quand le soleil illumine un objet, son ombre apparaît pour un certain temps, et disparaît ensuite. Il en va de même pour ce monde par rapport à la réalité ». C’est là la vérité que nous renvoyons comme principe fondateur de toute symbolique, quelle qu’en soit l’origine. Ne reste-t-elle pas humaine, donc sujette à des digressions qui passent, mais qui ne peuvent en définitive cacher le soleil par un tamis ?
De la Perse à Babylone
Chez les Perses, il est un dieu antique qui devint célèbre et qu’on invoqua comme dieu Soleil : Mithra. Il est, paraît-il, né un 25 décembre, date à laquelle on célébrait la renaissance du soleil. Pour les Zoroastriens, Mithra est le pourvoyeur de l’énergie vitale. Il veille à la pureté du jour et décide aussi du sort de l’armée. Il symbolise la régénération qui passe par le sang d’un taureau qu’on sacrifie, et ensuite par l’énergie solaire, suprême lumière visible et en définitive par l’énergie divine.
Chez les Assyriens (comme chez les Babyloniens), la religion n’avait pas une grande influence sur ce peuple éminemment guerrier dont la civilisation était teintée de militarisme. Mais la crainte des dieux était le principe fondateur de leur croyance religieuse. La violation des préceptes religieux méritait un châtiment divin, et la vertu était récompensée par une longue vie prospère et heureuse. La vie post-mortem n’avait pas d’importance dans leur répertoire religieux. Le Panthéon assyrien contenait sept ou six divinités d’égale importance : Ishtar, déesse de la guerre du sexe et de l’amour, semblait être la plus vénérée. Chose, semble-t-il, assez en harmonie avec le mode de vie de ce peuple qui ne baissait jamais la garde et qui devait, pour ainsi dire, son existence à la célérité de ses guerriers.
Shamash (on sent la racine Chamito-sémitique), le dieu soleil, avait lui aussi une place de prédilection dans ce temple des dieux. Dans la ville d’Assour, Shamash figurait en face de Sîn (la lune) qui en quelque sorte en était la seconde moitié. C’est la symbolique de l’opposition astrale lors de la pleine lune …Au moment de la pleine lune le soleil (Shamash) et la lune (Sîn) ont la même forme. Ceci nous rappelle les métaphores de la pleine lune (al badr) et du soleil (achams) dans la poésie arabe ancienne ou dans une certaine littérature soufie. Les mots réceptacles y sont parfois incapables de contenir la teneur de la saveur sémantique extraite de la sève directe de l’expérience spirituelle. Les conflits frontaliers entre le sacré et le mythologique n’effacent, néanmoins, pas les traces de la frontière.
Dans le Panthéon babylonien, Shamash, dieu-soleil, appelé aussi Babbar chez les Sumériens, occupait une place centrale. En Mésopotamie, le dieu-soleil était le juge suprême. De par sa position dans le ciel, il pouvait voir tout ce qui se passait et en être le témoin et le juge. Il avait pourtant deux enfants qui l’aidaient dans cette tâche ô combien difficile : Kittou et Mesharou, la justice et le droit. Il avait pour tâche de dicter lui-même aux rois les lois justes et équitables. Grâce à cette position centrale dans le ciel, mais aussi parce qu’il était source de luminosité et de clarté, il était considéré comme le dieu qui connaissait l’avenir. Son symbole, un disque orné d’une étoile à quatre branches, signifiait probablement les quatre directions cosmiques.
Visite à Pharaon
Nous arrivons lors de ce périple à travers les us et les coutumes, les croyances et les religions, à l’incontournable cité pharaonique. Le soleil y était maître absolu, dans un fragile équilibre entre la fertilité et la verdure d’un côté et l’aridité et le désert de l’autre. La vallée du Nil, témoin immuable des longs parcours de ce dieu soleil appelé Atoum, Ra ou Rê, recèle de nombreux vestiges de l’omniprésence de ce dieu qui tenait ses sujets en haleine et subjuguait les plus nantis (divinisés) parmi eux. Les hiéroglyphes qui parlent du soleil et couvrent de nombreuses stèles de pierre et d’innombrables mètres de papyrus, sont fascinants par le caractère énigmatique de cette étrange auréole. La civilisation pharaonique raconte son soleil dans un concept fondamental : l’Un et le multiple.
« Je suis Atoum, solitaire des étendues célestes. Je suis Râ, venu à l’existence lors de la première fois (…) Je suis le Grand Dieu qui se procrée lui-même. Les puissances de mes noms engendrent les hiérarchies. (…) Le sens de ma marche dirige l’univers (…). » (Livre des morts, ch.XVII)
L’Egyptien pharaonique, pour parler de ce « Grand Dieu », utilise de nombreuses paraboles et une myriade d’images. On ne voit qu’un soleil à la fois mais ses manifestations sont multiples et à chaque heure du jour, il offre une image de lui-même qui est différente par ses propriétés. En somme, ce que laisse transparaître cette démarche cultuelle, c’est que ce dieu ne se laisse appréhender qu’à travers ses multiples et différentes apparitions, le long des jours et des saisons. Cette panoplie de manifestations est reproduite par leurs dessins hiéroglyphes : la réalité de ce grand dieu unique leur était inconnue. Au lever du soleil, celui-ci est appelé Khepri, symbolisé par un jeune soleil éblouissant à tête de scarabée. Râ est le soleil du midi, il vogue sur une barque diurne, puissant porteur de vie et redoutable pour les ennemis de son ordre qu’il châtie par la brûlure de ses rayons. Il est souvent représenté par un chat qui porte au front un scarabée. Le mouvement dilatatoire des prunelles du félin rappelle l’amincissement du disque solaire à l’approche de la fin de la journée. Mais si durant le jour, son courroux est attisé par ses ennemis, il crachera son venin dans les yeux pour aveugler, comme un cobra. Le dieu Soleil crépusculaire est appelé Râ-horakhty, un astre vieux et affaibli qui, tel un oiseau prédateur, va couvrir la terre de ses ailes : le faucon. En définitive, on dira qu’à la base il y a un seul thème cosmogonique : la création par le soleil à partir de l’élément liquide. Le soleil reste l’omniprésent, c’est même à partir des larmes de l’un de ses yeux, qui s’était perdu (la lune), que les êtres humains ont vu le jour !!! Rê, roi des dieux dans l’explication pharaonique de la création, ou soleil-dieu, roi de la création.
Brève escale en Inde
Dans le tantrisme hindou, le soleil et la lune sont unis dans l’adepte tantrique qui arrive à maîtriser ses pulsions, surtout sexuels. Il faut faire preuve d’un grand ascétisme libidinal pour pouvoir réunir Shiva (énergie masculine, le soleil) et Shakti (énergie féminine, la lune). L’homme, dans cette croyance, est un microcosme, une représentation miniaturisée de l’univers (macrocosme). Il peut donc réunir en lui, en tant que lieu de réunion cosmique, toutes les dualités de l’univers : Shiva et Shakti, la lune et le soleil, le féminin et le masculin, ainsi que la nuit et le jour.
Voyage en Amérique précolombienne
Nous allons visiter maintenant un autre continent, le « nouveau continent » qui n’est pas pour ainsi dire aussi nouveau que le prétendent nos frères européens. Deux grands peuples, deux grandes civilisations y existèrent. Il est vrai que, décimés tels qu’ils le furent par les conquistadores espagnols et autres chercheurs de fortunes, les vestiges et les restes de leurs cultures qui nous sont parvenus sont rares et peu exploitables. Cependant nous savons par les statues, les panthéons les temples et autres legs cultuels et culturels, que le soleil occupait chez les Aztèques, les Mayas et encore plus chez les Incas une place centrale. Il était adoré, vénéré, et des temples étaient érigés pour y célébrer son culte.
La religion maya est très mal connue, pour les raisons que nous venons de signaler plus haut.
Mais chaque jour était placé, chez eux sous la protection d’un dieu. Il y avait un créateur, Hunab, dont le fils, Izamna, souvent associé au dieu soleil Kinich Ahau, avait offert aux Mayas l’écriture, les codex et le calendrier. Le panthéon maya était peuplé d’une infinité de dieux, Ahu Puch, dieu de la mort, est l’un des plus en vue dans cette galerie.
Soleil et jaguar, le dieu Soleil des Mayas, se transformait chaque soir au coucher du soleil en un redoutable jaguar. Une fois l’aube venue, il redevenait le dieu Kinich Ahau sous forme de soleil. A ce dieu, il fallait verser du sang humain, des sacrifices, qui souvent était des guerriers ennemis capturés.
Chez les Aztèques, le soleil occupait une place centrale au sein du panthéon. Huitzilopochtli
Le soleil au zénith, était le dieu tribal des aztèques. Tous les peuples conquis devaient adorer ce dieu guerrier. Ces sacrifices humains étaient nécessaires pour apaiser la colère du dieu soleil. Là encore, comme chez les Mayas, ce sont « les compagnons de l’aigle », les prisonniers de guerre, qui formaient le plus gros de cette chair humaine sacrifiée sur l’autel du soleil.
Les Incas ne s’écartent pas de cette vision divinatoire de notre astre. Ils furent même de tous les peuples précolombiens, ceux qui ont accordé la meilleure place à ce dieu-soleil. Ils sont « fils du soleil » (Inti). Le soleil envoya le premier Inca Mnco Capac sur Terre pour apprendre aux gens à vivre dans les villages et à cultiver la terre. L’Inca, roi dieu soleil, se mariait avec sa sœur, la lune. Cet inceste s’explique par la préservation de la pureté de la race et pour couper l’herbe sous les pieds de ceux qui voudraient prétendre au trône et à la divinité.
Et la lumière fût !
Notre voyage dans l’histoire cultuelle du soleil à travers les cultures et les civilisations touche à sa fin ; mais nous voudrions rappeler quand même une vérité première, celle qu’on garde au bout des lèvres après lecture de ce périple divinatoire : le soleil est clarté, lumière, jour et puissance. Pour revenir à nos origines, voici les versets savamment traduits par Eva de Vitray-Meyerovitch de la sourate qui traite de la lumière dans le Coran
Les versets de la lumière
Dieu est la lumière des cieux et de la terre ! Sa lumière est comparable à une niche Où se trouve une lampe. La lampe est dans un verre ; Le verre est semblable à une étoile brillante. Cette lampe est allumée à un arbre béni : L’olivier qui ne provient Ni de l’Orient, ni de l’Occident Et dont l’huile est prés d’éclairer Sans que le feu la touche. Lumière sur lumière ! Dieu guide, vers sa lumière, qui il veut. Dieu propose aux hommes des paraboles. Dieu connaît toute chose.
|
Qor’an..
Taher Ouazzani touhami